Trois questions se posent concernant la chirurgie carotidienne chez les personnes âgées à risque d'AVC :
- Ont-elles le même bénéfice à être opérées que les personnes plus jeunes.
- Si oui, doivent-elles bénéficier d’une prise en charge chirurgicale spécifique.
- L’ angioplastie carotidienne a t-elle un intérêt pour elles ?
A) Les personnes âgées bénéficient-elles autant que les personnes plus jeunes de la chirurgie carotidienne ?
L’âge est un facteur de risque chirurgical par le vieillissement des organes qui supportent mal les agressions : ischémie du clampage carotidien, intubation et ventilation assistée, à-coups tensionnels.
1) Fréquence et risque d’AVC chez le sujet âgé
Les AVC sont plus fréquents (1) et plus graves (2) chez les sujets âgés que chez les sujets jeunes comme en témoigne l’analyse faite dans l’étude E.C.S.T.. Dans cette étude où a été évalué le risque des sténoses carotidiennes, la fréquence des accidents ischémiques cérébraux majeurs par rapport aux accidents ischémiques cérébraux mineurs était de 64 % chez les patients âgés de plus de 70 ans, de 54 % chez les patients âgés de 60 à 69 ans et de 47 % chez les patients âgés de moins de 60 ans.
2) Risque de l'endartériectomie carotidienne chez le sujet âgé
Dans l’étude NASCET(3), la morbi-mortalité périopératoire a été de 5,2 % pour les patients âgés de plus de 74 ans, de 5,5 % pour les patients âgés de 65 à 74 ans et de 7,9 % pour les patients âgés de moins de 65 ans. L’âge n’augmente donc pas le risque opératoire en chirurgie carotidienne.
Le taux cumulé de mortalité et de morbidité neurologique moyen chez les patients âgés de plus de 75 ans est de 3,3% d’après E. BALLOTA (4) à propos de 9 séries colligeant au total 845 endartériectomies. Dans ces séries le taux de morbi-mortalité allait de 0% à 8.2% témoignant vraisemblablement de grandes variations dans les indications chirurgicales et les techniques opératoires et anesthésiques. Cet auteur a également montré dans une étude plus récente (5) que même lorsqu’à l’âge était associé à une occlusion carotidienne controlatérale, facteur de risque connu de la chirurgie carotidienne, le taux de complications n’était pas plus élevé.
3) Réduction du risque d’accident ischémique cérébral chez le sujet âgé par la chirurgie carotidienne.
En cas de sténose carotidienne supérieure à 70 %, la réduction absolue du risque d’accident ischémique cérébral homolatéral par la chirurgie est de 28,9 % pour les patients âgés de plus de 74 ans, de 15,1 % pour les patients âgés de 65 à 74 ans et de seulement 9,7 % pour les patients âgés de moins de 65 ans (2).
Ces résultats démontrent que les patients âgés tirent plus de bénéfice de la chirurgie carotidienne que les patients plus jeunes, à la fois parce qu’ils n’ont pas un risque opératoire plus élevé et parce qu’ils récupèrent beaucoup moins bien lorsqu’ils font un accident ischémique cérébral.
B) Faut-il une prise en charge chirurgicale spécifique de la personne âgée ?
Oui et non.
Oui car elles sont plus fragiles que les personnes jeunes.
- La récupération après une ischémie cérébrale est bien inférieure à celle d’une personne plus jeune. Il faut donc détecter précocement toute intolérance au clampage et pour cela l’anesthésie loco-régionale est irremplaçable.
- La compliance thoracique est abaissée et là encore l’anesthésie loco-régionale en évitant l’intubation et la ventilation artificielle limite le risque de complication respiratoire.
- La gestion de la pression artérielle doit être précise pour éviter les grandes variations tensionnelle délétères pour le myocarde et le tissu cérébral.
Non car il n’y a pas de raison pour priver les personnes jeunes de ces améliorations techniques et de ce fait la prise en charge des personnes âgées n’est plus spécifique.
C) L’angioplastie carotidienne endoluminale a t-elle un intérêt chez la personne âgée ?
L’angioplastie de la carotide a des inconvénients chez le sujet âgé :
- les calcifications artérielles fréquentes rendent la navigation intra artérielle plus difficile et plus risquée.
- Ces mêmes calcifications artérielles augmentent également le risque d’hématome au point de ponction.
KASTRUP et coll. (6) a comparé l’angioplastie carotidienne endoluminale avec endoprothèse et protection cérébrale à l’endartériectomie dans le traitement des sténoses carotidiennes du sujet âgé. Le taux d’AVC a été de 1,8% après endartériectomie et de 11,3% après angioplastie. Il a conclu à la supériorité de l’endartériectomie sur l’angioplastie.
Dans l’étude nord-américaine CREST (7), comparant l’angioplastie à la chirurgie, le taux de complications graves (AVC et décès) après angioplastie carotidienne est beaucoup plus élevé chez les patients âgés de plus de 70 ans que chez les patients plus jeunes : 2/120 (1.7%) avant 60 ans, 3/229 (1.3%) entre 60 et 69 ans, 16/301 (5.3%) entre 70 et 79 ans et 12/99 (12.1%) chez les patients de 80 ans et plus.
Ce résultat est confirmé par une étude plus récente (8) qui a comparé l’angioplastie des carotides chez les patients âgés de plus de quatre-vingts ans par rapport à ceux âgés de quatre-vingts ans ou moins. Le taux d’accidents neurologiques a été respectivement de 8 % contre 2,7 %. Le taux combiné d’accidents ischémiques cérébraux, d’infarctus du myocarde, et de décès a été respectivement de 9,2 % contre 3,4 %. Cette étude conclut que l’angioplastie carotidienne est à plus haut risque chez le sujet âgé que chez le sujet plus jeune.
L’étude EVA-3S a conclu à la supériorité de la chirurgie sur l’angioplastie pour les sténoses sténoses serrées symptomatiques quel que soit l’âge (9). Dans cette étude, le taux de décès et d’accident vasculaire cérébral à un mois a été de 3,9% après chirurgie et de 9,6% après angioplastie
L’angioplastie endoluminale a cependant des indications, dans les cas ou l'endartériectomie de la bifurcation carotidienne est trop risquée, dans le traitement des sténoses de l’origine des troncs supra-aortiques, dans les sténoses en tandem (sténose de la bifurcation carotidienne associée à une sténose du siphon ou de l’origine d’un tronc supra-aortique), dans les sténoses radiques et certaines resténoses.
D) Les complications chirurgicales spécifiques à la personne âgée
- Une désorientation temporo-spatiale peut survenir au décours immédiat de la chirurgie. Elle régresse en quelques jours.
- Un adénome prostatique suffisamment volumineux pour obliger le patient à se lever plusieurs fois la nuit peut se compliquer, en post-opératoire immédiat, d’une rétention aiguë d’urine. Elle doit être recherchée systématiquement le soir même de l’intervention.
- Les sujets âgés sont beaucoup plus sensibles à l’insuffisance rénale et dans ce cas l’injection d’iode doit être proscrite.
E) Les contre-indications à la chirurgie
Un patient ayant une dégradation importante de ses fonctions supérieures, un patient grabataire, un patient ayant des séquelles lourdes de son accident ischémique cérébral, ne sont pas de bons candidats à la chirurgie carotidienne.
Il en est de même des patients ayant une espérance de vie limitée.
A ces contre-indications spécifiques s’ajoutent les contre-indications générales à la chirurgie carotidienne.
Conclusion
- La prévention des accidents ischémiques cérébraux du sujet âgé par le traitement chirurgical des sténoses carotidiennes serrées est très efficace. Dans ce groupe, en l’absence de traitement de la sténose, les accidents ischémiques cérébraux majeurs, sont plus fréquents et plus graves que chez les sujets plus jeunes alors que le risque opératoire n’est pas plus élevé.
- La chirurgie carotidienne doit cependant être réservée, en cas de sténose asymptomatique, aux patients en bon état général n’ayant pas de perte significative des fonctions supérieures.
- Le bilan doit faire appel aux techniques d’imagerie non invasives.
- L’anesthésie doit être, de préférence, loco-régionale.
- L’angioplastie carotidienne est à haut risque.
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1 - Wolf PA, D’Agostino RB, Belanger AJ, Kannel WB. Probability of stroke : a risk profile from the Framingham Study. Stroke 1991 ; 22 : 312-18.
2 - European Carotid Surgery Trialists'Collaborative Group. Randomised trial of endarterectomy for recently symptomatic carotid stenosis : final results of the MRC European Carotid Surgery Trial (ECST). Lancet 1998 ; 351 : 1379-87.
3 - Alamovitch S, Eliasziw M, Algra A, Meldrum H, Barnett HJM, for the North American Symptomatic Carotid Endarterectomy Trial (NASCET) Group. Risk, causes, and prevention of ischaemic stroke in elderly patients with symptomatic internal-carotid-artery stenosis. Lancet 2001 ; 357 : 1154-60
4 - Ballota E., Da Giau G., Saladini M. et Abbruzzese E. Endartériectomie carotidienne chez les malades symptomatiques ou non âgés de 75 ans et plus : mortalité et morbidité neurologique péri-opératoire. Ann. Chir. Vasc. 1999 ; 13 : 158 – 163.
5 – Ballota E, Renon L, Da Giau G et al. Octogenarians with contralateral carotid artery occlusion : A cohort at higher risk for carotid endarterectomy ? J Vasc Surg 2004 ; 39 : 1003-8.
6 – Kastrup A, Schultz JB, Raygrotzski S et al . Comparison of angioplastie and stenting with cerebral protection versus endarterectomy for treatment of internal carotid artery stenosis in elderly patients. J Vasc Surg 2004 ;40:945-51.
7 – Hobson RW, Howard VJ, Roubin GS et al for the CREST Investigators. Carotid artery stenting is associated with increased complications in octogenarians : 30-day stroke and death rate in the CREST lead-in phase. J Vasc Surg 2004 ;40:1106-11.
8 – Stanziale FS, Marone LK, Boules TN et al. Carotid artery stenting in octogenarians is associated with increased adverse outcomes. J Vasc Surg 2006 ;43:297-304.
9 – Mas JL, Chatellier G, Beyssen B et al for the EVA-3S Investigators. Endarterectomy versus Stenting in Patients with Symptomatic Severe Carotid Stenosis. N Engl J Med 2006;355:1660-71.